Il triste destino di uno sciamano uiguro (Cina)

Il triste destino di uno sciamano uiguro (Cina)

xinjiang-1.1218612978.jpg

Un village aux portes du désert du Taklamakan, Turkestan oriental (Xinjiang en chinois).

Hojaniyaz est un chaman – bakshi – renommé dans tout le conté de Kashgar. Il y a quatre ans, les représentants du gouvernement de Pékin sont venus chez lui. Ils ont brisé son dap – tambourin – et lui ont demandé de raser sa barbe – il faut savoir qu’il existe un « permis de barbe » au Xinjiang.

Le tambourin est l’outil indispensable aux chamans d’Asie centrale. « Autrefois je dansais autour du feu en jouant du dap. Je devenais comme fou, je criais très fort. C’est comme ça que je soignais les gens. » Autrement dit il entrait en transe.

Une façon de chamaniser qui se pratique depuis la nuit des temps au Turkestan oriental. Son savoir, il le tient de son père, qui le tient de son père… « Je suis le septième descendant de ma tribu.

Aujourd’hui, Hojaniyaz doit se débrouiller autrement. Il se cache et ne peut faire trop de bruit.Sinon les voisins alertés par le bruit préviennent les autorités. « Je crache, j’utilise un bâton et je fais brûler des papiers, comme font les Chinois. Comme ça, s’ils viennent me contrôler, ils voient que je ne fais rien d’interdit.

bakshi.1219304499.jpg

 

Sans son dap, Hojaniyaz ne peut plus entrer en transe. Regrette-t-il ? « Non… car c’est le gouvernement qui me l’a demandé. Ce que souhaite le gouvernement c’est bien. » Je sens qu’il n’est pas sincère. Peut-être se méfie-t-il de moi. Il sait ce que peut coûter toute rébellion au gouvernement chinois. Toute sa famille peut en pâtir. Une des méthodes employées par le gouvernement de Pékin est de couper l’eau d’irrigation des champs aux familles récalcitrantes.

Voyant que je m’intéresse à sa pratique, il me propose de m’enseigner son art. Le « stage » durerait cinq jours. Pour mieux me convaincre, il me dit qu’il m’apprendra à sacrifier les poulets, » comme ça tu pourras gagner beaucoup d’argent à Paris. » Un instant je suis tentée par son enseignement (pour des raisons ethnologiques et non lucratives 😉 ) Mais… Pas le temps. Priorité au reportage. Je refuse à regret.

Le lendemain, je retourne lui rendre visite. Je veux le voir en transe. Il semble inquiet. Le taxi qui stationne devant la ferme… Cela peut attirer les regards. Nous demandons au chauffeur de taxi d’aller faire un tour. J’ai emporté avec moi le tambourin qu’il m’avait demandé d’acheter la veille.

bakshi-kashgar.1218631681.jpg

La séance commence. Un poulet, des cendres, du gras de mouton. Il récite des prières, crache, fait tourner le poulet au-dessus de ma tête. Pour m’enlever le mauvais oeil. Ecoutez : bad-eye.MP3. Puis il poignarde le poulet qu’il plante contre un poteau par la gorge. Ensuite il me dit : » Regarde bien « . Il retire le couteau, repose le poulet sur le sol et le poulet se sauve… Ensuite il fait chauffer un fer à blanc et me demande de passer ma plante des pieds dessus. Là, la rationalité reprend le dessus – je m’imagine avec des brûlures au pied au fins fonds de la Chine. Pas idéal. Je m’exécute, très vite. Et pourtant ça brûle. Je suis un peu furieuse, il m’avait assurée que je ne sentirais rien. burned-foot.MP3. Voilà, « c’est terminé », m’annonce-t-il.

Sa femme passe la tête par la porte : des gens du gouvernement sont dans le village. Elle semble soucieuse. En réalités ils sont venus contrôler les récoltes.

Alors j’insiste pour le voir en transes. Il s’exécute. J’ai droit à un simulacre, il n’ose pas faire de bruit. Il tape à peine sur le tambourin, il chante en retenant sa voix. Je sens qu’il a peur. Cela dure deux minutes mais sa femme vient le prévenir que des gens du gouvernement arrivent et il repose le tambourin. dap.MP3. J’éprouve de la peine pour lui. Pour les Ouïgours. Même ça !Même ça, ils le leur interdisent !

Hojaniyaz a soixante-dix ans. Lorsque je le quitte, sa face imberbe me laisse une impression amère. Comme s’il portait une humiliation sur son visage. En Asie centrale, les anciens, les sages, portent tous une longue barbe. On les appelle aksakal, ce qui veut dire barbe blanche en ouïgour. Au Xinjiang, les autorités chinoises ont même réussi à venir à bout des chamans…

http://sylvielasserre.blog.lemonde.fr/2008/08/23/chine-le-triste-sort-dun-chaman-ouigour/

/ 5
Grazie per aver votato!